
Il y a des départs sereins et légers, avec de simples baluchons sur le dos et des foulards qui s’agitent au bout des doigts. Nous étions loin de cette légèreté rêvée… Retour sur un envol aussi épique que trépidant.
Le chantier de la Fillonnerie, supervisé par Hoel Jacquin et appuyé par Igor Dezert, s’est étalé sur trois mois au lieu d’un seul…
Notre maison flottante, pour s’aventurer dans un voyage si long et si peu tranquille, a fait l’objet d’une restauration aussi complexe qu’essentielle.
Le bateau, en bois de chêne, trempe depuis dix-huit ans maintenant dans l’eau de Loire. Mais le fleuve de sable est une véritable ponceuse et le battement d’eau est une porte ouverte aux champignons… de nombreuses pièces structurelles ont dû être remplacées.
Remplacer un bordé, cela implique de trouver un arbre, le débiter, l’étuver (le tordre par la chaleur), le clouter… Et la tâche la plus ingrate consistait à calfater chaque planche du bateau avec de la filasse puis du brai (une résine) à faire fondre et à injecter dans les fissures.
On vous passe les autres innombrables travaux de ce chantier, qui a occupé les jours et les nuits de Hoel et mobilisé plus de cinquante personnes, dont l’équipe BatoLabo, pour un total d’environ 1 000 heures de bénévolat.
Un immense merci à l’association Les Charpentiers d’Ieau pour cet investissement considérable, et au Département de la Touraine ainsi qu’au FDVA d’Indre-et-Loire pour leur soutien financier à la restauration de la Fillonnerie.

Septembre fut un mois d’amorçage du projet avec une série de présentations publiques, des animations pour des scolaires, des spectacles / concerts.
Nous avons suivi la flottille de la Grande Remontée et participé à ce beau projet ligérien qui rassemble les communautés navigantes et habitantes. Nous étions à Bréhémont aux côtés de Ligere, puis à Tours pour les rencontres du Parlement de Loire. Basile, Chloé et Samuel participaient aux tables rondes autour de thématiques que nous mobilisons dans le cadre de BatoLabo : la question du partage avec les autres qu’humains, le droit des entités naturelles, les démarches art-sciences.
Chloé, quant à elle, a commencé ses expérimentations artistiques avec la formule Boum Boum Loire : chanson pop polyphonique et paillette qui revisite les chants traditionnels de Loire avec un bon coup de rénovation sur les paroles pour les adapter à notre époque tout en gardant la sève ! Avec les musicien.ne.s Daphné Ackermann (synthé-voix), Chloé Löwy-Girardeau (harpe-voix), Marine Arnoult (batterie) et la trapéziste de Cloé Rousset. Un quatuor haut en couleur pour faire danser les quais !
Et les prémices de ce grand voyage ont aussi été racontées aux élèves de l’école de Bréhémont.

Et comme tout bon voyage semé d’embûches et de contretemps, la mise à l’eau de la Fillonnerie pour le Festival de Loire d’Orléans s’est assortie d’un écopage d’urgence par Hoel et Samuel.
Le bois du bateau, éprouvé par une canicule sévère avait considérablement séché cette année. Il lui faut du temps (des jours, des semaines) pour regonfler dans l’eau et retrouver son étanchéité.
Une fois sauvée des eaux, sous le regard incrédule des organisateurs du festival, nous avons dû chemiser la coque d’une bâche bien étanche, avant de la remettre à flot, ni vu (ou presque) ni connu !
Ensuite, nous avons ajouté de l’eau à l’intérieur du bateau, sous le plancher, pour que le bois gonfle… mais depuis l’intérieur.
La Fillonnerie s’est tout de même vue décerner le Prix du bateau patrimoine par la ville d’Orléans !
Dans le cadre du Festival de Loire et en partenariat avec la Mission Val de Loire, Romane a reçu des élèves de quatre classe de primaire pour des ateliers pédagogiques à la découverte de la géographie fluviale et de la batellerie.
Pendant ce temps, sur la scène de la Fillo’, se produisaient Boum Boum Loire avec Chloé, Marine et Daphné. Les musiciennes ont mêlés leurs voix et leurs instruments (harpe, batterie, synthé psyché) pour donner du baume au cœur et du pouls au pied à la foule du festival en reprenant des chants féminins traditionnels de Loire à la sauce paillette.
Qui dit fin d’été, dit beaucoup de dossiers à rédiger ! Nous avons beaucoup planché à la rédaction de certains d’eux et notamment un projet Erasmus+ autour des escales européennes de 2026. Le projet « DiploNat », pour lequel nous sollicitons ce financement européen, vise à la formation de futurs ambassadeurs·ice·s des bassins versants du continent (Loire, Senne, Rhin, Danube) et à la création d’une boite-à-outil art/science/navigation dont ils et elles pourront se servir pour soutenir et susciter des relations plus respectueuses aux cours d’eau. La Vrije Universiteit (Brussels), Nyskaben (Danemark), et l’Institut Français d’Autriche (à Vienne) sont nos partenaires pour ce projet.
Réponse en décembre, on touche du bois.

La navigation a commencé le 30 septembre sur le canal de Briare. Les niveaux d’eau et la présence d’un barrage sur le parcours entre Orléans et Briare ne permettant pas la circulation de bateaux du gabarit de la Fillonnerie (15m de long, 4m de large et 25cm de tirant d’eau), le chaland a été gruté directement sur le canal. S’en est suivi une course contre la montre pour arriver jusqu’au versant Seine, et ne pas rester bloqué dans la partie Loire du canal de Briare qui fermait le soir même pour la saison.
Et après un petit déjeuner sur le pont-canal, nous avons navigué entre les arbres à bonne allure, car en une journée nous devions franchir la bonne dizaine d’écluses qui fermaient le soir même.
La suite de cette semaine de navigation sur le canal nous a donné la couleur de ce voyage : rencontres avec les éclusiers, glanages de champignons, de noix, de coings, de raisins et de figues, hâlage à l’ancienne avec des “bricoles” (ceintures de halage).
Après 51 écluses passées, trois nouveaux prélèvements d’ADN environnemental, de bons rideaux de pluies et quelques rayons de soleils arriérés, la Fillo est entrée sous voile sur la Seine, en débouchant du canal du Loing, pour s’amarrer une semaine à St-Mammès le temps d’une relâche.
L’équipage du BatoLabo quitte dimanche 12 octobre cette ancienne capitale régionale de la batellerie pour continuer son parcours sur la Seine, en direction de Paris.

BatoLabo réalise le plus grand transect fluvial jamais entrepris, de l’Atlantique à la mer Noire.
Et c’est un programme de sciences participatives qui s’est monté en un éclair de temps. En quelques jours, nous avons lancé, avec l’UMR Carrtel (Université Savoie Mont Blanc, INRAE) de Thonon-les-Bains un projet de recherche itinérante de prélèvements d’ADN environnemental. Depuis l’estuaire de la Loire jusqu’au delta du Danube, des échantillons sont collectés tous les 15 km, sur les fleuves, rivières et canaux
Le protocole, supervisé par l’équipe de Natexplorers (Julien Chappuis et Barbara Rhétoré) a impliqué les batelier·es* de la Grande Remontée de Loire, qui se sont relayé·es pour prélever un peu d’eau courante, en bateau.
250 ml par échantillon -> des millions de cellules qui racontent beaucoup de choses sur le vivant et sur nos usages.
Les résultats seront analysés par l’UMR Carrtel, qui étudie la composition du plancton végétal, constitué de centaines d’espèces d’algues microscopiques. L’institut de recherche s’intéresse notamment aux modifications et à l’homogénéisation de cette composition, souvent liées à nos usages, ainsi qu’au résultat du hasard dans l’installation aléatoire des espèces après des crues.
Ce sera aussi l’occasion pour Natexplorers de comparer leurs résultats avec leurs propres prélèvements, réalisés pour certains aux mêmes endroits lors de leur descente de la Loire en 2022.
Et nous avons très envie de croiser ces résultats bio-écologiques avec d’autres matériaux qui seront plutôt de l’ordre des témoignages, usages et attachements aux cours d’eau.
L’ensemble viendra nourrir le plaidoyer juridique pour les droits des rivière.

Soutiens financiers
Ce projet voit le jour grâce à nos partenaires suivants. Ils nous accueillent sur les quais et en résidence, nous conseillent, nous programment, interviennent lors des temps forts, embarquent à notre bord :
Logo, carte, dessin du bateau par Anne Zeum
Photographies de la Fillonnerie à quai et de Daphné Ackermann au piano de Pascal Avenet
Dessin « Depuis la Rivière » de Clémence Mathieu
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